Histoire de la cuisine au temps des bonshommes : la gastronomie médiévale
Que mangeaient les cathares ?
Au Moyen Âge, l’alimentation différenciait les communautés qui coexistaient plus ou moins bien sur notre territoire. Les Arabes qui peuplaient encore la Nouvelle-Catalogne, les Juifs qui étaient répartis dans les quartiers juifs des villes et villages les plus importants et, bien sûr, les chrétiens. Tous ont montré les différentes traditions, rites et interdictions alimentaires qui les identifiaient en tant que groupe. Il ne faut donc pas s’étonner que, lorsqu’un courant de renouveau a émergé de l’intérieur du christianisme qui prétendait à la pureté originelle, il ait immédiatement généré une doctrine de l’alimentation en réaction aux excès de l’Église officielle.
En fait, l’idéologie alimentaire cathare n’a fait que reprendre les prescriptions des moralistes de l’époque et les pousser jusqu’à leurs conséquences ultimes. Ainsi, si la viande – au sens figuré et aussi au sens propre – était un péché, sa consommation devait être interdite non seulement pendant les périodes d’abstinence établies, mais toujours. Tout ce qui était le fruit de la génération, c’est-à-dire du sexe, était considéré comme impur. Pour cette raison, non seulement la consommation de viande devait être refusée, mais aussi celle des œufs, du lait et de leurs dérivés. D’autre part, la biologie médiévale primitive comprenait que le poisson était un fruit spontané de l’eau, et non de la fornication, de sorte que sa consommation était pure.
Ceux qui, poussés par l’idéal de pureté, se sont consacrés à la proclamation de la foi cathare, devenant des guides spirituels de cette église parallèle émergente, ont voulu être l’exemple de vertu dans lequel le peuple se reconnaîtrait. Ce type de prêtres cathares était appelé bonshommes ou Parfaits en raison de leur niveau d’exigence personnelle. Ils ne mangeaient que des légumes et du poisson ; et ils passaient encore trois jours par semaine avec du pain et de l’eau.
Mais ce n’était que la pratique des Parfaits.
La plupart des adeptes du catharisme mangeaient de tout et ne suivaient les prescriptions des Parfaits que lorsqu’ils les rencontraient à certains repas. Les fidèles qui se déplaçaient de haut en bas de ce même Chemin des bonshommes, conduisant des troupeaux ou fuyant l’Inquisition, étaient des gens ordinaires, amoureux des plaisirs de la vie, ils mangeaient de la viande et du fromage. Pour le petit déjeuner, ils aimaient les œufs au plat avec du bacon. Dans les auberges et les taverniers le long des routes, ils partageaient leurs expériences et leurs hérésies avec d’autres voyageurs autour d’une cruche de vin. Et ils dégustaient des plats simples, mais délicieux de leur merveilleuse cuisine.
Et, comment pouvons-nous savoir tout cela ?
Eh bien, parce que, entre autres recherches, nous nous sommes consacrés à vider les actes de l’Inquisition contre les derniers cathares et nous avons trouvé des allusions à des plats, des préparations et des produits que nous avons comparés avec les livres de recettes de l’époque afin de pouvoir extraire – une fois interprétées – ces recettes. N’oublions pas que certains des premiers livres de recettes européens écrits en langues romanes sont écrits en catalan, comme ledit Sent Soví.
Il est vrai que les livres de cuisine médiévaux que nous avons proviennent des cuisines aristocratiques, et nos fidèles cathares étaient des gens humbles du peuple. Et aussi que, à cette époque, la nourriture était très différente selon la classe sociale à laquelle on appartenait, comme l’a expliqué le Dr Antoni Riera Melis, qui est le plus grand spécialiste que nous ayons dans ce domaine. Mais il n’en est pas moins vrai que les différentes couches – nobles, moines et paysans – de ce système alimentaire partageaient évidemment de nombreux principes culinaires.
Comme l’a souligné le philosophe et mathématicien Rudolf Grewe lorsqu’il a réalisé l’édition critique des manuscrits du Sent Soví, il est clair que la cuisine catalane de l’époque avait une projection importante.
Son charme principal fut certainement de savoir rassembler, sur le substrat commun de l’héritage classique et wisigoth, les influences raffinées de la culture andalouse, garante de la sagesse méditerranéenne et de la transmission des trésors orientaux.
En dehors de nombreux produits que les Arabes ont introduits ou réintroduits dans la péninsule (dont certains font encore partie de notre idiosyncrasie alimentaire comme le riz, les épinards, les aubergines, les citrons, le sucre, les nouilles...), un goût naissant pour les légumes (assez sous-estimé jusque-là par les carnivores barbares du nord, mais qui, comme vous pouvez le voir, au fil du temps, a fini par s’imposer) et la présence de certains poissons et autres produits typiques de l’environnement méditerranéen ont caractérisé cette cuisine.
Aussi une poignée de sauces exquises (comme la ginestade, une crème à base de riz, de safran et de lait d’amande), la coutume – très exportée, soit dit en passant – de cuisiner la volaille aux agrumes (le canard à l’orange vous dit-il quelque chose ?) et des aliments délicatement parfumés aux mille épices (car le gingembre est arrivé bien avant les sushis, messieurs !) et même à l’eau de rose.
Cette différenciation stylistique de l’art d’associer les mets dans la Catalogne médiévale était d’ailleurs assez partagée avec l’Occitanie. La cuisine est un excellent exemple de dynamique culturelle et, comme nous avions des croyances et des chansons en commun, nous partagions aussi des goûts et des façons de manger avec nos voisins, presque des frères, provençaux. Il y a peu de traces de leur production culinaire. Parmi ceux-ci, un manuscrit en latin conservé à la Bibliothèque nationale de Paris intitulé Modus viaticorum preparandorum et salsarum corrobore l’unité de style de la pratique culinaire médiévale catalane-occitane.
Parce que la cuisine catalane-occitane était, au Moyen Âge, une expression de cette civilisation qui s’est structurée des deux côtés des Pyrénées. Une culture que les seigneurs catalans et occitans, les troubadours et les cathares ont tenté de défendre contre la croisade de la France et de Rome. Une culture qui avait créé des jalons aussi beaux que l’amour courtois. Une cuisine qui a évolué au fil du temps, incorporant mille nouvelles choses et manières, mais sans perdre sa personnalité d’origine, jusqu’à ce qu’elle devienne la cuisine catalane d’aujourd’hui.
Une cuisine dont vous pouvez goûter quelques exemples maintenant et ici.
Toni Massanés
Directeur de la Fondation Alícia et chercheur à l’Observatoire de l’alimentation du Parc scientifique de Barcelone